Les pays seraient plus aptes à affronter les problèmes économiques mondiaux avec le concours des actifs de réserve internationaux du FMI
Félicitations aux États membres, aux services et aux dirigeants du FMI à l’occasion du 80e anniversaire de la création de l’institution à Bretton Woods, dans le New Hampshire. Fleuron de l’architecture financière internationale de l’après-guerre, le FMI a été conçu par des idéalistes, résolus à mettre en place un ensemble d’institutions susceptibles de décourager l’agression entre les grandes puissances et d’empêcher la résurgence de l’unilatéralisme économique et financier qui prévalait entre les deux guerres.
Conformément à ses Statuts, le but principal du FMI est de promouvoir la coopération monétaire internationale au moyen « d’un mécanisme de consultation et de collaboration en ce qui concerne les problèmes monétaires internationaux ». Pendant la période mouvementée qui a suivi la fin de la convertibilité or du dollar américain, en août 1971, les pays membres ont appliqué ce principe et rapidement mis au point l’accord du Smithsonian en décembre de la même année. Cependant, les nouvelles valeurs nominales prévues par l’accord pour la fixation des autres monnaies sur le dollar n’ont pas tenu. En l’espace de deux ans, le régime de change de Bretton Woods a été remplacé par des taux de change flottants gérés. Les pays membres ont toutefois fait preuve de coopération lors de la transition vers ce système et maintenu le principe selon lequel les politiques de change devaient être au cœur des préoccupations mutuelles, principe qui sous-tend aujourd’hui la surveillance du FMI.
En plus d’assurer cette surveillance des taux de change et d’autres politiques des pays membres, le FMI a un rôle central dans la gestion des crises, en s’appuyant sur l’expérience et l’expertise de ses services. Le stock de réserves prépositionnées du FMI est indispensable à cet effet. Ainsi, lorsqu’un pays membre requiert une aide financière, cette aide peut être apportée sans avoir à faire la quête.
L’évolution constante du FMI est la clé de sa réussite au cours de ses 80 premières années d’existence. Harry Dexter White et John Maynard Keynes ne reconnaîtraient pas l’institution aujourd’hui. Ses dirigeants et ses États membres ont apporté leur soutien à l’innovation pour relever les nouveaux défis, mais ils ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers ; il faudra que l’institution évolue constamment pour continuer à être performante. Sa gouvernance constitue l’enjeu le plus important. Les actifs de réserve internationaux que sont les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI offrent l’opportunité la plus attrayante.
L’enjeu de la gouvernance
Les États-Unis et l’Europe ont progressivement renoncé à la convention selon laquelle le directeur général du FMI devait être un homme européen, le premier directeur général adjoint, un homme américain et le président de la Banque mondiale, un homme américain. Cette transformation ne suffit pas. Un enjeu plus crucial réside dans la capacité tenace de certains pays (les États-Unis) ou groupes de pays (l’Europe) à bloquer les décisions capitales du FMI et le souhait d’autres pays (la Chine) de s’y associer.
Pendant plus de 10 ans, j’ai plaidé au sein du gouvernement américain pour que nous ne nous servions pas du droit de veto des États-Unis sur les grandes décisions du FMI comme argument principal au moment de demander au Congrès américain d’approuver une augmentation de notre quote-part au FMI ou un engagement dans le cadre des nouveaux accords d’emprunt. L’expansion de l’économie mondiale a été plus rapide que celle de l’économie américaine. Ainsi, la domination des États-Unis est de moins en moins justifiable, tant sur le plan technique que sur le plan politique. J’ai également rappelé à mes collègues du Trésor américain que si nous ne parvenons pas à persuader quelques pays de soutenir notre position, c’est que celle-ci est probablement erronée. Charles Dallara, administrateur américain au FMI dans les années 80, exprime un point de vue similaire : « J’ai rapidement appris que trouver un consensus entre des administrateurs partageant les mêmes idées est indispensable pour représenter efficacement les intérêts des États-Unis. »
La réponse à cet épineux problème passe par une grande négociation entre les États-Unis, l’Europe, la Chine et le Japon. Les dirigeants actuels du FMI et de ses principaux pays membres doivent faire preuve d’ambition et d’imagination pour mettre en place une telle négociation.
L’opportunité offerte par les DTS
Il y a plus de 50 ans, les pays membres ont approuvé le premier amendement aux Statuts autorisant le FMI à allouer des DTS. Les négociations ont été menées pendant pratiquement toute la décennie 1960. Un compromis complexe a été trouvé entre des opinions très tranchées sur la meilleure façon de maintenir le système de Bretton Woods.
Les DTS sont alloués au prorata des quotes-parts des pays membres du FMI. Chaque État membre reçoit un actif de réserve productif d’intérêts et un passif à long terme correspondant sur lequel il paie le même taux. La valeur du DTS est basée sur un panier de monnaies dont les pondérations sont ajustées périodiquement par le conseil d’administration du FMI. Son taux d’intérêt équivaut à la moyenne pondérée des taux d’intérêt publics à court terme des monnaies qui le composent. Une allocation de DTS ajoute à la liquidité inconditionnelle d’un pays membre. Contrairement à la liquidité inconditionnelle dérivée de l’emprunt ou des excédents des transactions courantes, cette liquidité a un coût nul jusqu’à ce que les DTS soient transférés à un autre détenteur.
La première allocation annuelle de DTS, sur une période de trois ans à partir de 1969, a été insuffisante et trop tardive pour sauver le régime de change de Bretton Woods. Elle constitue cependant un exemple précurseur et historique de coopération monétaire internationale. Le deuxième amendement des Statuts, en 1978, a non seulement préservé l’autorité du FMI en matière d’allocation de DTS, mais a également établi une double obligation pour les États membres de collaborer à « une meilleure surveillance internationale des liquidités internationales » et à « faire du droit de tirage spécial le principal instrument de réserve du système monétaire international ». Ces deux volets sont restés davantage de l’ordre de l’idéal que de l’opérationnel.
Une deuxième allocation de DTS a été autorisée pour une période de trois ans (1979–81) après l’amendement des Statuts du FMI et le début du régime de change flottant. Pendant 30 ans, les DTS sont restés dans les placards du FMI, jusqu’en 2009, année d’une nouvelle allocation de DTS de 250 milliards de dollars pendant la crise financière mondiale. La dernière allocation remonte à 2021, lorsque le FMI a émis des DTS d’une valeur de 650 milliards de dollars pour aider ses pays membres à surmonter les répercussions économiques et financières de la pandémie de COVID.
Le DTS a démontré sa valeur en tant qu’instrument de gestion des crises. Le FMI devrait maintenant s’appuyer sur ces résultats et renforcer le rôle du DTS dans le système monétaire international.
Premièrement, le FMI devrait reprendre les allocations annuelles pour maintenir et augmenter progressivement la part des DTS dans les réserves de DTS et de monnaies des pays membres, part qui est actuellement d’environ 7 %. Sur la base des tendances récentes, une allocation annuelle de DTS équivalente à 100 à 200 milliards de dollars devrait permettre d’atteindre cet objectif. Des allocations annuelles et régulières de DTS garantiraient une croissance soutenue des liquidités mondiales, comme envisagé lors de la création de l’instrument et dans les amendements des Statuts, sans conséquences radicales pour le système monétaire international. Les DTS offrent un moyen efficace, peu coûteux et sans distorsion d’augmenter les réserves de change des pays et présentent l’avantage supplémentaire de figurer en permanence dans le stock mondial de réserves internationales.
Deuxièmement, le taux d’intérêt sur les DTS devrait être relevé par une combinaison de taux d’intérêt à long terme et de taux d’intérêt à court terme sur les obligations d’État libellées dans les monnaies du panier de détermination du taux d’intérêt du DTS. Cette réforme réduirait quelque peu la subvention sur ce qui constitue en réalité des prêts perpétuels aux pays qui mobilisent leurs DTS. Elle permettrait aussi de compenser les pays qui facilitent la mobilisation par une réduction de leurs réserves de devises et une augmentation de leurs avoirs en DTS.
Troisièmement, le FMI devrait inciter les pays membres qui détiennent des excédents de DTS à en faire usage dans la riposte aux problèmes mondiaux, tels que le changement climatique et les pandémies, par exemple en les prêtant à la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance ou à la facilité pour la résilience et la durabilité du FMI, aux banques multilatérales de développement ou à d’autres détenteurs prescrits de DTS, en achetant des obligations libellées en DTS émises par ces entités ou en recourant à des mécanismes similaires. Les pays membres ne devraient pas imposer de restrictions à leurs politiques d’utilisation des DTS en exigeant que les créances libellées en DTS demeurent liquides. Les réserves excédentaires ne doivent pas nécessairement être liquides si elles dépassent effectivement les besoins. De plus, ces DTS sont maintenus dans le système et contribuent de manière permanente aux liquidités mondiales.
Grâce à des allocations annuelles régulières de DTS, les pays membres du FMI seraient en mesure d’avancer dans la réalisation d’objectifs économiques à l’échelle nationale et mondiale, tels que l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets. En outre, les DTS, parce qu’ils réduisent le niveau de risque et le coût des crises financières, abaissent le coût des emprunts sur le marché, redonnent confiance aux dirigeants et permettent d’alléger les contraintes extérieures qui pèsent sur les politiques de croissance économique.
Les DTS ne sont pas la solution miracle qui permettra à elle seule de résoudre les problèmes économiques et financiers urgents qui se posent aujourd’hui au niveau mondial, mais ils font partie des nombreux instruments qui peuvent y contribuer. La réforme de la gouvernance du FMI n’est pas le seul enjeu structurel. Une réforme constante et l’évolution sur le plan institutionnel sont indispensables pour permettre au FMI de continuer à jouer un rôle de premier plan dans la promotion de la coopération monétaire internationale.
Dans 20 ans, lorsque le FMI fêtera son 100e anniversaire, espérons que les observateurs félicitent les dirigeants du milieu des années 2020 pour la vision et l’imagination dont ils firent preuve afin de maintenir l’institution dans le rôle qui lui avait été assigné à Bretton Woods.
Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.