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L’institution doit jouer un rôle dans la riposte à cette menace, mais ce rôle a ses limites

Le changement climatique pose des difficultés particulières au Fonds monétaire international. Ce sujet a certes été analysé en profondeur pour la première fois par le FMI dans les Perspectives de l’économie mondiale en 2008, mais ce n’est qu’en 2021 que le conseil d’administration a convenu d’une stratégie pour aider les États membres à y faire face. Aujourd’hui encore, ce dossier suscite de vives réactions, tant de la part de ceux qui souhaitent que le FMI agisse davantage, que de ceux qui estiment que l’institution s’est déjà écartée de ses attributions et de ses compétences essentielles.

Pourquoi un enjeu largement perçu comme un danger pour la survie de la planète suscite-t-il une telle controverse par rapport à l’action du FMI ? En partie, parce que tous ne sont pas conscients de la gravité du changement climatique, des risques qu’il fait peser sur la prospérité mondiale et de l’urgence de s’y attaquer. Même parmi ceux qui saisissent la gravité de la situation, certains estiment que cette question a peu à voir avec la mission principale du FMI.

Dans son document de stratégie de 2021, le conseil d’administration du FMI a tranché sur cette question fondamentale. « Le changement climatique constitue désormais l’un des défis macroéconomiques et financiers majeurs auxquels les pays membres du FMI devront faire face dans les années et décennies à venir », a-t-il déclaré. « Le changement climatique aura inévitablement des répercussions sur la stabilité macroéconomique et financière par le biais de nombreux autres mécanismes de transmission, y compris les soldes budgétaires, les prix des actifs, les flux commerciaux, les taux d’intérêt réels et les taux de change... Aucun pays ne peut s’attendre à être entièrement épargné. »

L’accent mis sur la « stabilité macroéconomique et financière » est important, car il s’agit de la ligne directrice du FMI. L’incidence critique sur le plan macroéconomique est un critère qui sert de longue date à déterminer les enjeux auxquels le FMI doit s’attaquer. Il n’en reste pas moins que le débat reste ouvert sur l’envergure et les modalités de son intervention.

Deux écoles de pensée

Le premier camp se base sur l’objectif historique et l’expertise principale du FMI. Ce camp défend l’idée de limiter le rôle de l’organisation dans le domaine du changement climatique à ce qui est strictement nécessaire à l’accomplissement de son principal mandat. De ce point de vue, l’incidence immédiate et à long terme du changement climatique sur les comptes budgétaires, monétaires, financiers et extérieurs des pays membres et sur l’économie mondiale relève en grande partie des attributions du FMI.

Il serait donc tout à fait justifié que le FMI mène des études, procède à des évaluations et fournisse des conseils sur les différents dispositifs stratégiques, dans ces mêmes domaines, que les pays peuvent adopter pour s’adapter au changement climatique. Accorder une priorité à l’action climatique aurait aussi pour corollaire important d’aider les pays à se doter des capacités institutionnelles nécessaires à l’élaboration et à la mise en œuvre de ces mesures.

Pour ce camp, les arguments en faveur de l’engagement du FMI sont moins évidents s’il étend sa mission à la fourniture de conseils sur les politiques ou les mécanismes de ralentissement du changement climatique, ou qu’il se charge de mobiliser des financements privés pour l’atténuation des effets du changement climatique. Par exemple, le FMI analyse depuis longtemps la question de la suppression des subventions aux combustibles fossiles et dispense des conseils à ce sujet, mais établir un lien avec les engagements d’un pays en matière d’atténuation est beaucoup plus controversé. Ce groupe estime que le FMI n’a pas pour rôle d’évaluer les progrès réalisés par les pays dans leurs engagements internationaux en faveur de la transition écologique sous l’angle des politiques économiques et des financements ni d’en rendre compte dans le cadre de son processus de surveillance.

Ceux qui appellent le FMI à la retenue ne prétendent pas que ces questions sont sans importance. Ils considèrent plutôt qu’elles ne relèvent pas du rôle de l’institution. Ils craignent que l’attention portée à ces sujets ne détourne les efforts du FMI des risques macroéconomiques et financiers urgents qu’aucune autre institution n’est en mesure de gérer. Ils estiment que la force du FMI tient à la priorité accordée à son activité principale et à l’absence de dérive de sa mission, phénomène qui a affaibli l’efficacité d’autres organisations internationales.

D’après ce groupe, alourdir à outrance la surveillance du FMI ou la conditionnalité de ses programmes risquerait de diluer les efforts consacrés aux risques budgétaires, monétaires et financiers fondamentaux. Les services du FMI peuvent ne pas disposer de l’expertise nécessaire, et la constitution d’une base de compétences performante, sur un marché concurrentiel, serait difficile et coûteuse, selon les tenants de ce point de vue. Le FMI pourrait ainsi être amené à « débaucher » du personnel d’autres organisations dont la mission est plus directement liée à l’action climatique. Par ailleurs, dans un contexte où les organisations doivent composer avec des budgets serrés, l’augmentation des ressources consacrées à l’action climatique pourrait se faire au détriment du maintien des effectifs nécessaires pour travailler sur les questions macroéconomiques et financières centrales. Ce groupe soutient que la culture conventionnelle de l’institution est un atout à préserver.

Il n’est ni possible ni judicieux de renoncer aux avancées déjà réalisées par le FMI en matière d’intégration du changement climatique dans ses travaux.

L’autre camp part sur une base très différente. Le changement climatique entraîne déjà des répercussions sur la vie de milliards de personnes et constitue une menace existentielle pour les générations futures. Par conséquent, selon ce groupe, il incombe à chaque organisation de faire tout ce qui est en son pouvoir pour contrer cette menace. Si cela suppose un changement d’orientation, de modèle de fonctionnement ou de compétences, il convient de s’y atteler, et ce changement nécessaire ne devrait pas être un motif pour rester à l’écart.

De ce point de vue, le FMI est un acteur trop peu mobilisé sur la scène mondiale. Les mesures prises par l’institution à ce jour ne sont tout simplement pas suffisantes. Toujours selon ce groupe, l’histoire du FMI regorge d’exemples où l’organisation s’est adaptée pour répondre à l’évolution des besoins et des priorités de ses pays membres. Le changement climatique est sans conteste le prochain grand défi mondial qui impose à l’institution d’évoluer.

Le FMI a déjà entrepris de définir des cadres et des instruments pour intégrer les aspects du changement climatique dans ses activités de surveillance, d’assistance technique et de prêt, mais de multiples points techniques restent à explorer. Il s’agit notamment de la conception de mécanismes et d’approches de recherche de pointe pour évaluer les risques climatiques, de l’élaboration de cadres macrobudgétaires et financiers qui intègrent les investissements substantiels nécessaires à la transition vers une économie à faible émission de carbone et des dispositifs politiques de mise en pratique de ces cadres.

La mobilisation du financement pour l’action climatique

Beaucoup de pays sont soumis à des contraintes en matière de viabilité des finances publiques et de la dette, alors même qu’ils sont poussés à investir davantage dans l’accélération de leur transition vers une économie sobre en carbone. Le FMI doit aider les pays à trouver le bon équilibre et adapter ses propres cadres de viabilité de la dette pour refléter ces flux, selon les tenants de ce point de vue. Il devrait, d’après eux, consacrer davantage de moyens et accorder une plus grande priorité à la réalisation de ces études et analyses.

Il est désormais largement admis que les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire devront dépenser des milliers de milliards de dollars par an pour l’adaptation, l’atténuation et la résilience liées au climat. Les pouvoirs publics devront également mobiliser la majeure partie de ce financement au niveau national, mais une part substantielle devra provenir de sources extérieures publiques et privées. Ainsi, les pays émergents et les pays en développement autres que la Chine devront dépenser environ 2 400 milliards de dollars par an d’ici à 2030, selon les estimations du Groupe d’experts de haut niveau indépendants sur le financement climatique, créé à la suite des conférences des Nations Unies sur le changement climatique de 2021 et 2022. Environ 1 000 milliards de dollars par an devront provenir de sources extérieures.

Il s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu de lever autant de fonds. Ce camp estime ainsi que la capacité de financement du FMI, qui s’élève à 1 000 milliards de dollars, semble à portée de main. L’argument selon lequel ces fonds doivent être gardés en réserve en cas de crise financière mondiale ne tient pas si cela signifie qu’il faut négliger le financement de la transition verte, ce qui, d’après ce raisonnement, pourrait accroître la probabilité d’une telle crise.

Le FMI a établi la facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) en 2022 afin d’aider les pays à financer des projets relatifs à la résilience et à la transition écologique. Cependant, les partisans d’une action plus soutenue du FMI font valoir que la FRD est trop modeste (le total des décaissements s’élève à ce jour à 1,4 milliard de dollars seulement) et que l’obligation que ce financement soit accompagné d’un programme de financement régulier du FMI le rend moins attrayant pour de nombreux pays en raison de la conditionnalité imposée et de la menace pour leur réputation.

En outre, à l’instar des financements habituels du FMI, l’aide au titre de la FRD ne fait qu’alourdir la dette, même si elle est assortie d’une échéance beaucoup plus longue, ce qui constitue une contrainte pour de nombreux pays. Certains membres de ce groupe ont donc appelé à revoir les politiques actuelles d’émission et de déploiement des droits de tirage spéciaux (DTS), qui alimentent les réserves officielles des pays membres. Pendant la pandémie, le FMI a émis des DTS équivalant à 650 milliards de dollars, ce qui a sensiblement allégé la pression pesant sur certains pays à revenu faible ou intermédiaire, même si 67 % de ces fonds ont été alloués à des pays riches qui n’avaient pas besoin de ce financement. Ceux qui souhaitent que le FMI élargisse son champ d’action dans le domaine du climat se demandent pourquoi ne pas procéder à des distributions massives et régulières de DTS. Ils avancent cependant que l’institution devrait peut-être modifier les règles d’allocation des DTS et cibler les pays qui en ont besoin et/ou lier les allocations aux dépenses consacrées à l’action climatique.

Le FMI pourrait aussi mettre à profit sa capacité de rassemblement pour inciter à une action et à un financement à l’échelle mondiale en matière d’action climatique. En tant qu’organisation internationale qui réunit régulièrement les ministres des Finances et les gouverneurs de banque centrale, le FMI pourrait sensibiliser ces derniers aux mesures politiques et financières qu’ils sont les seuls à pouvoir prendre pour l’action climatique, suggère ce groupe. Selon le document stratégique 2021 du FMI, « l’atténuation du changement climatique est un bien public mondial et nécessite un niveau sans précédent de coopération et de coordination des politiques entre les pays. En tant qu’institution multilatérale d’envergure mondiale, le FMI peut contribuer à la coordination des mesures macroéconomiques et financières. »

Un pas après l’autre

Il est plus facile d’exposer que de résoudre les points de désaccord concernant le rôle du FMI dans l’action climatique. Cela traduit une fois de plus l’ambiguïté générale de la stratégie internationale de lutte contre le changement climatique. Dans leurs communiqués, les dirigeants mondiaux soulignent régulièrement la gravité de la menace et la nécessité d’une action urgente et coordonnée. Pourtant, les mesures concrètes et les engagements financiers se font attendre.

Il est donc irréaliste de s’attendre à ce que les pays membres du FMI acceptent un nouveau consensus ambitieux qui ferait de l’action climatique l’une des priorités fondamentales de l’institution. Nous devrions également exclure, pour l’instant, la possibilité de distribuer régulièrement des DTS pour financer les dépenses liées au climat ou de confier au FMI ou à ses instances dirigeantes un rôle central de mobilisation et de financement de l’action internationale.

Dans le même temps, il n’est ni possible ni judicieux de renoncer aux avancées déjà réalisées par le FMI en matière d’intégration du changement climatique dans ses analyses, sa surveillance et son activité de renforcement des capacités. Il faudra au contraire accorder plus d’importance à ces aspects à mesure que les pays seront soumis à plus de pression pour affronter les menaces climatiques et solliciteront l’aide du FMI. La FRD devrait devenir une source plus importante de financement du FMI. Ce dernier joue également un rôle considérable de chef de file intellectuel, fondé sur le pouvoir des idées, en contribuant à la réflexion et à la sensibilisation du public sur les liens entre le changement climatique et les perspectives économiques de ses pays membres.

Pour le FMI, la meilleure approche face au changement climatique consistera peut-être à « traverser la rivière en tâtant les pierres », comme le disent les Chinois : un pas après l’autre. Le FMI a bien avancé dans l’intégration du changement climatique dans ses activités. Après des débuts frileux, l’institution a renforcé ses partenariats avec la Banque mondiale et d’autres organisations aux compétences et aux mandats complémentaires. Elle a aussi recruté des experts qui sont en mesure d’établir un lien entre le programme d’action climatique et les objectifs et compétences traditionnels du FMI. Il est fort probable que les appels à aller plus loin se multiplieront. L’institution se devra de les gérer de manière à servir les intérêts de ses États membres et à susciter un large soutien.

MASOOD AHMED est président du Center for Global Development, un groupe de réflexion basé à Washington.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.