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Depuis 60 ans, le magazine est la vitrine du FMI et de l’économie mondiale en constante évolution

Nous sommes en 1964. Les Beatles font fureur. Aux États-Unis, le Congrès adopte la loi sur les droits civils. En Afrique du Sud, Nelson Mandela est condamné à la prison à perpétuité. Audrey Hepburn est l’héroïne de My Fair Lady. Et à Washington, dans un coin tranquille de la 19e rue nord-ouest, un magazine voit le jour.

F&D at 60

Le lancement de Finances & Développement (F&D), en juin 1964, n’est peut-être pas aussi retentissant que d’autres événements de cette année-là, mais il incarne l’ouverture d’une vitrine exceptionnelle permettant au public de découvrir le fonctionnement — et le mode de pensée — du de la Banque mondiale et du FMI. Avec les années, ce magazine allait aussi permettre à la « Banque » et au « Fonds » de comprendre le regard porté par les gens de l’extérieur sur les divers thèmes économiques et financiers au cœur de leur travail.

Lorsque le directeur général adjoint du FMI, Frank A. Southard Jr., suggère une « revue périodique moins technique » pour s’adresser aux hauts fonctionnaires, banquiers, journalistes et étudiants, il a en tête un produit exclusivement FMI (comme ce fut le cas par la suite après le retrait de la Banque mondiale dans les années 90). Toutefois, il accueille favorablement la proposition du président de la Banque mondiale, George Wood, de créer une publication conjointe, élargissant ainsi la palette de sujets abordés par le magazine et renforçant son attrait pour les lecteurs du monde en développement.

Les débuts

Les premiers numéros de La revue du Fonds et de la Banque : Finances & Développement donnent le ton pour le reste de la décennie, en ancrant fermement la mission du magazine sur l’information relative à la Banque mondiale et au FMI à destination de lecteurs du grand public : des articles sur les origines des deux institutions, leurs structures financières et leurs opérations ; des rubriques plus courtes pour démystifier le jargon du FMI (accords de confirmation, déficits de la balance des paiements, pratiques de devises multiples), et pour expliciter les transactions financières et les activités des deux institutions.

F&D n’est pas publié hors contexte. Durant les années 60, le monde en développement est aux prises avec la décolonisation et aspire à rattraper son retard sur les pays plus riches. La Banque suit la logique de développement de l’époque — l’industrialisation mène à la croissance et la croissance est bénéfique aux plus démunis — et axe ses prêts sur des projets en faveur des infrastructures et de l’industrie. F&D publie nombre d’articles décrivant les projets financés par la Banque et explique les détails pratiques des prêts en faveur du développement.

F&D at 60

Depuis la première couverture illustrée de mars 1968, représentant des villageois kenyans devant un nouveau robinet d’eau financé par la Banque mondiale, F&D a toujours présenté des projets couronnés de succès comme symboles de modernité et de prospérité. La couverture de septembre 1968 et l’article qui l’accompagne mettent en lumière la transformation d’un désert mexicain en terres agricoles fertiles grâce à de nouveaux barrages d’irrigation. Les visiteurs des Jeux olympiques de 1968, vante l’article, peuvent donc s’attendre à savourer des produits fraîchement « cultivés par les agriculteurs de cette nouvelle région prospère ». Un autre article décrit l’autoroute de l’Ouest au Honduras, financée par le premier prêt de l’Association internationale de développement, en ces termes : « la seringue hypodermique qui injecte dans les campagnes le vaccin de la vie moderne ».

Plusieurs articles de la fin des années 60 évoquent les problèmes d’interdépendance entre la balance des paiements des États-Unis et la liquidité mondiale.

Toutefois, dès la fin de la décennie, le concept du développement porté par l’industrialisation est remis en question. Dans son ouvrage de 1968 intitulé Le drame asiatique : une enquête sur la pauvreté des nations, le lauréat du Prix Nobel, Gunnar Myrdal, affirme que « le développement n’est pas un processus mécanique qui consiste à ajouter du stock de capital, des compétences humaines et des connaissances et artifices technologiques, mais une question de changement institutionnel, d’attitudes et de modes de comportement, de tous ces éléments intangibles qui distinguent une société humaine d’un champ de particules ou d’une colonie de fourmis » : des mots considérés comme hérétiques par les économistes de la Banque mondiale. Et en juin 1969, F&D publie une longue réplique, pas tant pour remettre en question la thèse de Myrdal que pour critiquer son absence de solutions pratiques.

L’année suivante, toutefois, le président de la Banque, Robert S. McNamara appelle à la mise en place d’indicateurs de développement « qui ne se contentent pas de mesurer la croissance de la production totale, mais fournissent des critères pratiques de changement dans les autres dimensions économiques, sociales et morales du processus de modernisation ».

C’est aussi l’apogée du système de Bretton Woods : un article de 1966 proclame avec fierté les 20 ans des taux de change fixes. Mais le système commence déjà à souffrir. Plusieurs articles de la fin des années 60 évoquent les problèmes d’interdépendance entre la balance des paiements des États-Unis et la liquidité mondiale, jusqu’à ce que le FMI mette en place un actif de réserve artificiel, le droit de tirage spécial (DTS) éminemment bien présenté sur la couverture de décembre 1969 de F&D. Pour les pays en développement, qui espéraient un lien entre les allocations de DTS et le financement du développement, le FMI ne peut que répéter sa prescription habituelle, réitérée dans plusieurs articles du magazine : la stabilité monétaire et des taux de change est la condition sine qua non du développement économique.

Au moment où les années 60 tirent à leur fin, il en va de même du système de Bretton Woods, qui va s’effondrer à peine quelques années plus tard. Mais F&D est une réussite : entre 1964 et 1968, le tirage dans ses trois langues d’origine (anglais, espagnol et français) est passé de 20 000 à 85 000 exemplaires, et le magazine s’est imposé comme un incontournable moyen de communication sur les travaux de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Timidement au début, mais avec une confiance grandissante, ses rédacteurs commencent à jouer avec la couleur et le graphisme en ajoutant plus fréquemment des photos, des cartes, des croquis et des illustrations de plus grande dimension.

Les turbulences des années 70

Les années 70 sont tumultueuses, ponctuées par l’effondrement du système de Bretton Woods, des chocs pétroliers colossaux et le terrorisme international. Mais elles sont aussi une période d’expérimentation. Le deuxième amendement aux Statuts du FMI, en 1978, autorise les États membres à choisir leur régime de change, fixe ou flottant. Plus important encore, comme l’explique le conseiller économique du FMI dans le numéro de juin 1976 de F&D, les années 70 révolutionnent le concept même de stabilité du système monétaire international.

Dans le cadre de Bretton Woods, la stabilité repose sur le maintien par les pays membres de taux de change fixes par rapport au dollar. Après le deuxième amendement, les pays allaient axer leurs politiques monétaire et budgétaire sur la stabilité intérieure, et la stabilité du taux de change découlerait de solides politiques économiques, quel que soit le choix du régime de change. Les activités de surveillance du FMI à l’avenir n’allaient donc plus se limiter à la stabilité extérieure, mais allaient aussi inclure la stabilité et les politiques intérieures. Le périmètre de surveillance de l’institution s’élargit ainsi, jusqu’à couvrir aujourd’hui des thèmes aussi divers que l’égalité femme–homme, la gouvernance et le changement climatique.

F&D at 60

Le parcours vers ce deuxième amendement est chaotique et F&D s’efforce d’informer les lecteurs au sujet des mesures visant à réformer le système monétaire international, des débats sur le pour et le contre des taux de change fixes ou flottants, des bouleversements provoqués par les chocs des prix pétroliers et des détails pratiques relatifs à la mise en œuvre des articles amendés. Une fois encore, les pays en développement appellent à un lien entre le DTS et le développement, mais une fois encore ils essuient un refus. Au lieu de cela, le FMI propose le mécanisme élargi de crédit, qui prévoit des accords (et des délais de remboursement) sur une plus longue durée que l’accord de confirmation classique. Il fait aussi ses premières tentatives de prêts concessionnels au moyen d’un nouveau fonds fiduciaire (largement décrit dans le numéro de décembre 1976 de F&D). Face à l’ampleur du choc sur les cours du pétrole, le FMI se trouve obligé, pour répondre aux demandes de ses États membres, de compléter ses ressources en quote-parts par des fonds qu’il emprunte aux pays exportateurs de pétrole, ce qui revient en réalité à recycler des pétrodollars. En juin 1975, F&D se dote aussi d’une édition en langue arabe.

Les années 70 sont tumultueuses, ponctuées par l’effondrement du système de Bretton Woods, des chocs pétroliers colossaux et le terrorisme international.

La Banque mondiale est, elle aussi, en pleine révolution. F&D accorde une place de premier plan aux Assemblées annuelles de Nairobi en 1973, au cours desquelles McNamara insiste sur l’impératif de s’attaquer directement à la pauvreté absolue. La Banque (et la communauté du développement de façon plus générale) commence à prendre conscience que la croissance du produit national brut « ne se répercute souvent pas jusqu’aux plus démunis ». La réponse, toutefois, ne consiste pas à distribuer des aides : pour McNamara, la seule solution durable consiste à accroître la productivité des plus pauvres (essentiellement les populations rurales). F&D analyse les différents types de projets de la Banque mondiale, en précisant qu’ils ne sont plus « les projets d’ingénierie rigides de la fin des années 40 et du début des années 50 », mais des opérations pluridisciplinaires, évoluées et complexes. Tout au long des années 70, F&D met en évidence les initiatives de la Banque pour aider les petits agriculteurs à accéder au crédit, aux semences et aux engrais, et la façon dont elle les complète par une offre élargie de services en matière d’éducation, de soins de santé, d’irrigation et de transports publics.

Dans les bureaux de la rédaction de F&D, on s’essaye à des polices de caractère et à des formats plus branchés, comme le montre le numéro de mars 1973. Sur le fond, ils commencent à explorer de nouveaux thèmes. En 1969, un article de F&D évoque pour la première fois les conditions météorologiques comme « une variable fondamentale du développement économique à laquelle les institutions économiques et financières n’ont jusque-là prêté que bien peu d’attention ». En décembre 1971, Margaret de Vries, toute première femme cheffe de division au FMI, écrit un article éloquent sur le rôle des femmes dans le développement économique. Le magazine souligne également le rôle bénéfique des travailleurs temporaires en Europe, en précisant qu’ils sont un atout à la fois pour les migrants eux-mêmes et pour les pays hôtes, même si ces derniers commencent à faire face aux effets sociopolitiques de l’immigration.

Les années 80 : la décennie perdue

Dans les pays avancés, le souvenir des années Margaret Thatcher–Ronald Reagan est celui des excès de Wall Street. Dans la plupart des pays en développement, toutefois, le souvenir des années 80 est celui d’une décennie perdue.

À la fin des années 70, la Réserve fédérale américaine tire fort sur les rênes de sa politique monétaire pour endiguer la forte inflation aux États-Unis. La flambée des taux d’intérêt dans le monde met un terme brutal aux prêts d’argent facile de la décennie précédente et entraîne les économies endettées des pays en développement en chute libre. Au FMI, le nouveau mot d’ordre est la « conditionnalité » : le respect d’un certain nombre de conditions en matière de politiques économiques est non seulement indispensable pour obtenir un déblocage des ressources du Fonds, comme l’explique la couverture de F&D de mars 1981, mais il est aussi impératif pour réussir un ajustement, de sorte qu’un nouveau prêt ne constitue pas seulement une nouvelle accumulation de dette.

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Pour la Banque mondiale, il est de plus en plus évident que, quel que soit leur taux de rendement interne, les projets d’investissement ne pourront jamais aboutir dans un environnement macroéconomique désorganisé. La réponse est un nouveau type de prêt : les prêts en faveur d’un ajustement structurel qui apportent un appui budgétaire pour procéder à des réformes économiques. Les programmes de la Banque mondiale et du FMI insistent sur la nécessité de rétablir l’équilibre intérieur et extérieur : du côté de la demande, en réduisant les déficits budgétaires et en imposant une discipline monétaire, et du côté de l’offre, en dévaluant, en privatisant et en libéralisant.

Les pays en développement s’indignent de cette nouvelle orientation. Les critiques dénoncent la rigidité des mesures et la rigueur des conditions, qui d’après eux, exacerbent inutilement les difficultés économiques, en particulier pour les populations plus vulnérables. F&D joue alors un rôle crucial, en expliquant qu’un ajustement bien pensé et exécuté, malgré les souffrances à court terme, est source de bienfaits à plus long terme, notamment : accélération de la croissance, amélioration des niveaux de vie et meilleure répartition des revenus.

D’autres articles préconisent des réformes axées sur le marché, en particulier la libéralisation des échanges, plutôt que le protectionnisme et la substitution des importations. Les pays d’Asie de l’Est sont montrés en exemple pour avoir réussi leurs ajustements et félicités pour leur ouverture au commerce, ce qui, d’après les auteurs de F&D, a permis une reprise et une croissance plus rapides (bien qu’en réalité, ces pays se distinguent également par les fortes interventions de l’État). F&D commence aussi à s’intéresser à la Chine, qui vient de se lancer dans des réformes de marché, et en juin 1983, lance son édition en chinois.

Alors que la crise de la dette s’éternise et que s’installe la lassitude des ajustements, il apparaît de plus en plus évident qu’un ajustement agressif a des effets disproportionnés sur les plus démunis. Pour être politiquement viables, les programmes doivent donc faire davantage pour protéger les personnes plus vulnérables. Au fil des pages de F&D, les lecteurs peuvent retracer l’évolution de la stratégie de la communauté internationale en matière d’endettement : dans un premier temps, l’accent est mis sur l’ajustement ; puis en 1985, le Plan Baker repose sur l’idée que les pays « sortent de leur endettement par la croissance » ; et enfin, l’acceptation, dans le plan Brady de 1989 et les conditions de Toronto du Club de Paris, que seul un allégement de la dette, à la fois par les créanciers publics bilatéraux et les créanciers privés, peut résoudre la crise.

F&D décrit aussi l’intérêt croissant porté par la Banque mondiale aux questions environnementales : tout commence par la création d’une petite unité en 1970, qui bénéficie d’un nouvel élan sous la présidence de Barber Conable (1986–91). Face à une opinion publique critique des effets de certains projets de la Banque mondiale sur l’environnement, les articles de F&D commencent à expliquer l’évolution de la Banque en la matière, qui voit désormais la protection de l’environnement comme partie intégrante du développement durable.

F&D ouvre ses pages aux auteurs extérieurs, en commençant par Nicholas Kaldor en juin 1983. Les articles d’auteurs invités sont clairement identifiés, pour éviter d’être interprétés comme représentant les points de vue des deux institutions, et l’article de Kaldor, qui remet en question l’orthodoxie du FMI en matière de dévaluations monétaires, s’accompagne d’une réplique du rédacteur en chef de F&D. Ces articles contribuent toutefois à introduire un élément de débat et posent les jalons de l’évolution de F&D vers une plateforme de discussion plutôt qu’un outil de diffusion des positions de la Banque et du FMI.

Les années 90 : la transition

Avec un graphisme de couverture évocateur des affiches de propagande soviétique des années 30, le numéro de mars 1990 de F&D analyse l’événement marquant de la décennie : la chute du communisme et le triomphe apparent du libéralisme. La Banque et le FMI, ainsi que l’Organisation de coopération et de développement économiques et la toute jeune Banque européenne pour la reconstruction et le développement, sont déjà à pied d’œuvre sur une Étude de l’économie soviétique, qui conclut (comme l’explique un article de F&D de 1991) à l’interdépendance des réformes nécessaires : une démarche progressive ne fonctionnerait pas, c’est une « thérapie de choc » qui s’impose. Les numéros suivants de F&D étudient les différents aspects de la transition : rééquilibrage budgétaire, réforme monétaire, privatisation, réorientation des industries et gouvernance d’entreprise, en donnant de temps à autre la parole à ceux qui réclament « moins de choc, davantage de thérapie ».

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En dehors des pays en transition, les pays en développement et les pays émergents sont également en pleine transformation et acceptent la plupart des idées et l’élan plus général vers la libéralisation, tout en rejetant la rhétorique de ce que l’on appelle le Consensus de Washington. Comme le reconnaît toutefois le rapport de la Banque sur le miracle de l’Asie de l’Est, représenté sur la couverture du numéro de F&D de mars 1994, l’intervention de l’État peut être constructive à condition qu’il existe une « bonne gestion des affaires publiques ».

L’optimisme envers un capitalisme de marché débridé est mis à l’épreuve par les crises que traversent les pays émergents dans les années 90. Dans le cadre des mesures de libéralisation, nombre de pays émergents ont aboli leurs contrôles de capitaux, entraînant de considérables entrées de fonds. Très rapidement, toutefois, la dévaluation du peso mexicain de 1994, suivie de peu par les dévaluations en Thaïlande, en Corée, en Indonésie, en Russie, au Brésil, en Argentine, en Uruguay et en Türkiye, démontre les conséquences désastreuses des inversions brutales des mouvements de capitaux. Même si les origines de ces crises des comptes de capitaux ont été propres à chaque pays, ce sont les asymétries de bilans, notamment des prêts libellés en dollars à rembourser à partir d’actifs produisant de la monnaie locale, qui exposent les pays à des événements déstabilisateurs, qu’ils soient de nature intérieure ou extérieure, économique ou politique.

En révélant pour la première fois le côté sombre de la mondialisation financière, la crise asiatique de 1997–98 et les enseignements qui en découlent entraînent nombre de réformes au FMI, exposées en détail dans le numéro de juin 1998 de F&D. Les crises des pays émergents plus généralement donnent lieu à diverses initiatives (normes et codes, programmes d’évaluation du secteur financier et systèmes d’alerte précoce) visant à renforcer l’architecture financière internationale.

Le magazine devient une plateforme de débat entre les plus éminents experts mondiaux sur les thèmes d’importance pour le FMI.

F&D at 60

Si les pays en transition et les pays émergents font les gros titres de F&D, les pays à faible revenu ne sont pas en reste. Le FMI a toujours maintenu que la stabilité macroéconomique est nécessaire à la croissance, et que la croissance est nécessaire à la réduction de la pauvreté. De là, il n’y a qu’un pas à franchir. Comme le reconnaît l’article de F&D de décembre 2000 intitulé « Comment aider les pauvres», « nécessaire » ne signifie pas « suffisant » : la réduction de la pauvreté doit être un but à part entière, au même titre que la croissance. C’est ainsi que la facilité d’ajustement structurel renforcée du FMI devient la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance : les responsables gouvernementaux et la société civile vont désormais élaborer leurs propres stratégies de réduction de la pauvreté dans un cadre participatif, renforçant d’autant l’adhésion aux programmes. En reconnaissance des réformes entreprises par les pays, la Banque mondiale et le FMI consentent aussi à l’allégement de la dette au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (complétée au milieu de la première décennie 2000 par l’initiative d’allégement de la dette multilatérale, encore plus ambitieuse).

Le magazine F&D lui-même connaît une profonde transformation : peu de temps après l’entrée en fonction de James Wolfensohn à la présidence de la Banque mondiale en 1995, celle-ci se retire du partenariat F&D. Le FMI, toutefois, reconnaît la valeur du magazine et accepte d’assurer seul son financement. Malgré cette nouvelle donne, les plus de 110 000 abonnés de F&D ne constatent que peu de changement dans les thèmes abordés. La communication visuelle prend une nouvelle ampleur, avec des couvertures captivantes et une impression en quadrichromie, et de nouveaux points de vue extérieurs, voire critiques, sont de plus en plus courants. En mars 1996, F&D commence également à compléter ses éditions papier par un contenu numérique.

L’entrée dans le nouveau millénaire

Au cours des années suivantes, F&D prend sa forme moderne : avec l’adoption d’une plus grande transparence et la publication des documents du FMI, F&D a moins besoin de jouer le rôle de porte-parole de l’institution, mais devient plutôt une plateforme de débat entre les plus éminents experts mondiaux sur les thèmes d’importance pour le FMI, avec des numéros qui deviennent aussi plus thématiques.

C’est aussi au début des années 2000 que les pays émergents font leur entrée sur la scène mondiale. Les pays d’Asie ouvrent la marche : les pays en crise se sont redressés et les géants endormis que sont la Chine et l’Inde se sont éveillés. Mais ce n’est pas seulement l’Asie : l’Amérique latine et même l’Afrique voient leurs résultats et leurs perspectives nettement s’améliorer. Les grands pays émergents, qui représentent désormais une part croissante de la production mondiale, mais ne détiennent toujours qu’une minorité de quote-parts du FMI, commencent à réclamer une plus grande place autour de la table.

Toutefois, l’essor des pays est-asiatiques, porté par les exportations, n’est pas sans inconvénient. Les pays émergents, en particulier la Chine, devenue une grande puissance manufacturière et exportatrice à la suite de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce, en 2001, font irruption dans les secteurs industriels des pays avancés et déclenchent de vives réactions protectionnistes. Alors même que les négociations du cycle de Doha sur la libéralisation du commerce sont au point mort, les institutions de Bretton Woods continuent de prôner les échanges et la mondialisation : tous les pays peuvent améliorer leur sort grâce à la dynamique du commerce (F&D, septembre 2002). Pour les pays plus pauvres, le remède reste la libéralisation des échanges qui, au même titre que l’accroissement de l’aide, est fondamentale pour stimuler la croissance et lutter contre la pauvreté. Entretemps, les craintes de perdre leur emploi émises par les travailleurs des pays avancés sont rejetées, sous prétexte que le commerce crée suffisamment de gagnants pour qu’ils puissent compenser les perdants.

Au niveau macroéconomique, l’essor de l’Asie se traduit par des « déséquilibres mondiaux », essentiellement un excédent en Chine et un déficit aux États-Unis, sources de frictions entre ces deux pays aux niveaux du commerce et du taux de change. La crainte pour le reste du monde, qui incite le FMI à convoquer sa première consultation multilatérale en 2006, est que l’accumulation d’engagements par les États-Unis puisse atteindre un point de rupture où les investisseurs risquent de perdre confiance et de se débarrasser de leurs dollars, déclenchant précipitamment une crise mondiale. En réalité, ces déséquilibres ne sont qu’un symptôme : les racines de la crise de 2008 sont plus profondes.

Au milieu de la première décennie 2000, l’économie mondiale est en plein essor, mais uniquement grâce à une triple bulle :

  • L’excédent d’épargne et de production en Asie ne peut être entretenu que par l’énorme déficit du compte des transactions courantes des États-Unis, devenus le consommateur de dernier recours.
  • La stagnation des salaires réels et la baisse de la part du revenu du travail aux États-Unis, notamment en raison de la délocalisation des emplois manufacturiers vers les pays émergents, sont telles que la consommation de la classe moyenne ne peut être entretenue que par une augmentation incessante des crédits à la consommation (souvent sous forme de retraits de fonds propres liés à la hausse des prix de l’immobilier).
  • Une bulle du même ordre dans la zone euro entretient les excédents de l’Europe du Nord et les déficits de l’Europe du Sud.

Ces facteurs sont favorisés, et exacerbés, par les excès du secteur financier qui prolifèrent dans le cadre de réglementations laxistes. Même si F&D évoque un certain nombre de ces éléments, il ne réussit pas, à l’instar de la plupart des autres observateurs, à faire le lien entre eux et à reconnaître que, lorsque ces bulles vont éclater, l’économie mondiale va subir la pire crise qu’elle n’ait jamais connue depuis la crise économique des années 30.

Crise et reprise

Avant même que la faillite de la banque américaine d’investissement Lehman Brothers déclenche une panique financière dans le monde entier, le numéro de F&D de juin 2008 signale que les titres complexes et opaques adossés à des créances hypothécaires, associés à des excès d’endettement et à des défaillances réglementaires, sont la source des problèmes financiers aux États-Unis. La faillite de Lehman en septembre et la propagation de la crise monumentale au reste du monde sont amplement analysées dans les colonnes du numéro de décembre 2008 de F&D.

L’année suivante, le magazine explique en détail la réponse du FMI à la crise : remaniement de sa panoplie d’instruments de prêts pour la rendre plus souple et plus réactive aux besoins des pays ; amélioration de la surveillance pour mieux anticiper les crises et tenir compte des effets de contagion ; et, en collaboration avec le Conseil de stabilité financière, renforcement de sa surveillance du système financier international. Le Fonds monétaire international apporte aussi un appui complémentaire aux pays à faible revenu et relance ses DTS avec sa première allocation depuis les années 70, pour stimuler l’économie mondiale au moyen d’une injection immédiate de liquidités sans conditions.

Lorsque la crise éclate, le directeur général du FMI, DominiqueStrauss-Kahn, lance un appel mémorable à une relance budgétaire d’urgence, et les pays répondent à l’appel, l’Asie en tête. La considérable expansion budgétaire de la Chine, en particulier, sert de locomotive au reste de l’économie mondiale. Les principales banques centrales injectent des liquidités d’urgence sur leurs marchés, mettent en place des lignes transfrontalières de crédit réciproque et procèdent à un assouplissement quantitatif. Toutes ces mesures sont indispensables pour éviter une implosion de l’économie mondiale, bien qu’elles entraînent aussi involontairement des afflux de capitaux vers les marchés émergents.

En décembre 2009, le pire de la tempête est passé, mais les séquelles de la crise (chômage structurel, inégalités de revenus, protectionnisme et rejet de la mondialisation) sont profondes et deviennent l’axe de travail de F&D. Dans L’emploi dans tous ses états, dont la couverture s’inspire de l’hommage rendu par Diego Rivera en 1932 aux travailleurs américains, F&D analyse les effets des migrations, de l’externalisation, des technologies et des échanges sur les perspectives d’emploi et souligne un dilemme fondamental pour les décideurs : ouvrir davantage les pays aux migrants, aux échanges et aux technologies présente des avantages économiques, mais aussi des coûts politiques, car la classe moyenne se sent menacée. Même si le recyclage et la formation permanente font partie de la réponse, F&D estime que « pour les travailleurs déplacés approchant de la fin de leur vie professionnelle, la redistribution est sans doute une solution plus appropriée que l’acquisition de nouvelles compétences ».

Le numéro de septembre 2011 de F&D explore une question connexe : l’amertume de l’opinion publique face aux inégalités croissantes de revenus dans les pays avancés, alimentée en partie par le sentiment que les banques ont été renflouées sur le dos des travailleurs. Le risque est de voir les opinions publiques « ne plus vouloir de l’ouverture au commerce et de la liberté des marchés si elles se sentent perdantes face à un petit groupe de gagnants qui ne cessent de s’enrichir ».

F&D est resté fidèle à sa mission de captiver, d’éduquer et de divertir ses lecteurs.
Un monde sous tension et fragmenté

Dès la décision du Royaume-Uni, en 2016, de quitter l’Union européenne, la fragmentation passe du risque à la réalité. Alors que la reprise mondiale semble atteindre un point d’inflexion, elle subit des revers dus à la montée du nationalisme, du protectionnisme et du populisme. Les doutes antérieurs sur la mondialisation évoluent désormais en guerre commerciale ouverte et en xénophobie. Des mouvements tels que « Occupons Wall Street » se transforment en appels à l’intention des politiciens qui vont à l’encontre de l’ordre établi et en rejet pur et simple de l’expérience. Non seulement le consensus et l’esprit de coopération des premiers jours de la crise ont disparu, mais ils se sont mués en une volonté délibérée de rompre les accords, de revenir sur les alliances et de se retirer du multilatéralisme.

F&D s’efforce de diagnostiquer cette nouvelle réalité. Dans son numéro de décembre 2016, avec en couverture un ouvrier impassible, le magazine analyse l’évidement de la classe moyenne aux États-Unis et les causes profondes de la désaffection des électeurs dans les pays avancés. Même si la mondialisation semble être le coupable évident, le numéro de mars 2017 évalue une autre hypothèse : la stagnation séculaire. La question fondamentale, telle que posée par F&D, est de savoir si les pays avancés doivent se résigner à une croissance anémique ou si des mesures peuvent relancer la productivité. Pour résumer l’humeur de l’époque, le numéro de décembre 2018, Le temps de l’insécurité, s’interroge sur ce qui reste du contrat social au XXIe siècle, alors que les aînés craignent de vivre plus vieux que leur retraite le leur permettra et que les milléniaux s’inquiètent de ne jamais même se constituer une retraite.

La pandémie de COVID-19 vient ensuite porter un nouveau coup : le FMI sort sa panoplie de crise et fournit rapidement des financements d’urgence à un nombre de pays sans précédent. Il émet également un nombre record de DTS et crée en 2022 le fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité, qui apporte une solution ingénieuse, bien que partielle, aux griefs émis de longue date par les pays en développement, selon lesquels les allocations sont proportionnelles aux quote-parts, et non pas aux besoins de financement structurels des pays. Toutefois, ce qui aurait dû être source de rapprochement dans le monde ne fait qu’amplifier les divisions, pour culminer dans un « protectionnisme vaccinal ».

Au-delà de l’évaluation des effets immédiats de la pandémie, F&D réfléchit à ses conséquences à plus long terme pour les opportunités économiques, les inégalités, les technologies, la santé et la pratique de la politique budgétaire. Le magazine exhorte également ses lecteurs à considérer la pandémie comme une occasion de réduire les fractures et de reconstruire un monde meilleur (numéro de septembre 2020).

C’est ensuite l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui apporte son lot de nouveaux chocs : réfugiés, perturbations des chaînes d’approvisionnement, pénuries alimentaires et énergétiques, forte inflation et instabilité des marchés financiers. Dans un contexte marqué par la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine, et la dérive dangereuse du monde en blocs économiques distincts, cette guerre renforce le sentiment que les pays doivent prendre parti. Pour aider ses lecteurs à s’y retrouver dans ce paysage, F&D analyse les effets de la guerre sur l’élaboration des politiques des pouvoirs publics, l’économie mondiale, l’insécurité énergétique et la désintégration du commerce mondial.

Où va le FMI ? Forgée dans l’épreuve de la guerre et créée pour favoriser le multilatéralisme et la coopération internationale, cette institution a une mission plus vitale que jamais. Pour la remplir efficacement dans un monde de plus en plus complexe et sujet aux chocs, toutefois, ses économistes doivent lever le nez de leurs feuilles de calcul et analyser des enjeux en dehors de leur domaine traditionnel. F&D joue son rôle, en se penchant sur une panoplie de thèmes qui vont de la santé, de la démographie et des inégalités à la monnaie numérique et à l’intelligence artificielle. Son numéro le plus récent fait le point sur ce que tout cela implique pour la discipline même de la science économique.

En avance sur son temps

À l’origine, le magazine F&D avait pour but de maintenir les lecteurs au courant des évolutions de la Banque mondiale et du FMI, et il l’a admirablement fait. Mais il a, lui aussi, évolué en un forum incontournable de discussion sur les plus grands enjeux économiques. Et sur certains thèmes, notamment l’environnement, le rôle des femmes et la montée de la Chine, il a été en avance sur son temps.

En juin 2019, le magazine a présenté un récit fictif de John Maynard Keynes qui revient rendre visite au FMI à l’occasion de son 75e anniversaire et s’émerveille du fait que malgré d’innombrables changements, l’institution reste fidèle à son mandat d’œuvrer pour le bien de ses États membres. Au cours des 60 dernières années, F&D a lui aussi été le témoin, et le sujet, d’innombrables transformations tout en restant fidèle à sa mission de captiver, d’éduquer et de divertir ses lecteurs.

ANNA POSTELNYAK est chercheuse principale au département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI et membre de l’équipe du projet sur l’histoire du FMI.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.