La dette souveraine joue un rôle central dans l’économie mondiale, mais elle n’est pas sans risque
Lorsqu’ÉDOUARD III, roi d’Angleterre, manqua d’argent pour financer la guerre de Cent Ans qui l’opposait à la France, il se tourna vers les familles de banquiers florentins. Les prêts qu’ils lui accordèrent étaient extrêmement coûteux, et comme Édouard III ne réussit finalement pas à s’asseoir sur le trône de France, il fut incapable de rembourser cette dette en totalité. Au fil des siècles, la « dette du souverain » est devenue la « dette souveraine », à savoir le système de titres de créance multinationaux que nous connaissons aujourd’hui, mêlant plusieurs devises et s’élevant à des milliards de dollars.
Pourquoi les États souverains ont-ils recours aux emprunts ?
Les États empruntent pour dépenser plus que ce qu’ils peuvent ou souhaitent récolter par le biais des impôts. Plusieurs raisons économiques expliquent le recours aux emprunts. Lorsque les recettes fiscales ne sont pas au beau fixe, comme pendant une récession, les États empruntent pour honorer leurs engagements en matière de dépenses. Cela permet aux États d’assurer la continuité des services publics, tels que le fonctionnement des écoles et des hôpitaux, mais aussi, dans un contexte où l’économie est déjà faible, de ne pas réduire leurs dépenses, mesure qui aggraverait la situation. C’est ce qu’on appelle le « lissage fiscal ». Les États peuvent même aller plus loin et augmenter leurs dépenses ou encore réduire les impôts pendant une période de récession pour tenter de stimuler la croissance. Cette « relance budgétaire » est financée par l’émission de dette souveraine.
Toutefois, ces quelques raisons n’expliquent généralement pas le niveau élevé d’endettement observé dans de nombreux pays. Il y en a d’autres, comme le fait de vouloir investir dans l’avenir. Les États peuvent emprunter des sommes importantes pour aider à construire une nouvelle autoroute, une centrale électrique ou un métro. Les coûts initiaux peuvent être extrêmement élevés et le remboursement est donc étalé sur de nombreuses années. Mais ces investissements sont réalisés dans l’hypothèse qu’ils stimuleront la croissance à long terme, ce qui justifie l’emprunt. En plus d’investir dans le capital physique, les États peuvent également investir dans le capital humain, en favorisant l’éducation et la santé. Encore une fois, les avantages tirés de l’investissement sur le long terme doivent l’emporter sur le coût de l’emprunt.
À qui les États empruntent-ils ?
Les États peuvent faire preuve de beaucoup de créativité pour trouver des créanciers potentiels. En effet, ils recherchent les prêteurs qui proposent les taux d’intérêt les plus bas. Cependant, le choix d’un créancier se fait souvent à l’issue d’arbitrages. Par exemple, les États souverains ont le choix d’emprunter à l’intérieur de leurs frontières ou auprès d’une entité étrangère. Les emprunts intérieurs (réalisés auprès de banques et de gestionnaires d’actifs nationaux ou directement auprès des ménages) peuvent représenter une source de financement stable et fiable. Mais souvent, les sommes disponibles sont limitées et les échéances de remboursement ont tendance à être courtes. Les États empruntent donc aussi des montants plus élevés sur une plus grande période sur les marchés de capitaux internationaux. Toutefois, ces marchés peuvent être inconstants, en particulier pour les pays à faible revenu. Il peut être périlleux de penser que ces prêteurs pourront toujours fournir une source de financement rapidement disponible.
Diverses entités du secteur privé prêtent également aux États souverains. Les gestionnaires d’actifs, tels que les fonds de pension, détiennent généralement une dette publique importante. Ils ont besoin d’actifs à long terme relativement sûrs équivalant à leurs passifs à long terme. Les banques détiennent également une part importante de dette souveraine, qui appartient généralement aux États dans lesquels elles opèrent. D’ailleurs, ce lien entre les États et les banques a déjà été source de problèmes par le passé. Par exemple, au cours de la crise de la dette souveraine qui a frappé la zone euro de 2010 à 2012, les banques en difficulté ont réduit leur financement aux États, ce qui a augmenté les coûts d’emprunt souverain. Cela a créé un cercle vicieux de resserrement des conditions financières qui a aggravé la récession économique et les problèmes liés au système bancaire. Aujourd’hui, on comprend mieux ces risques, que ce soit pour les États ou pour les banques.
Enfin, les États peuvent emprunter auprès d’autres États ou auprès d’organisations internationales. La plupart du temps, ce type de prêt n’est essentiellement pas motivé par l’atteinte d’objectifs commerciaux (bien que dans la pratique, cela peut avoir de l’importance pour le prêteur). Un État peut prêter à un autre pour renforcer leurs relations bilatérales. La Banque mondiale et la Banque africaine de développement peuvent prêter de l’argent à un État pour l’aider à construire des infrastructures d’assainissement, financer une campagne de vaccination ou réformer le secteur de l’électricité. De son côté, le FMI peut fournir un financement à un pays qui se trouve confronté à des difficultés de financement de la balance des paiements.
Comment les États souscrivent-ils à un emprunt ?
Il existe aussi diverses façons contractuelles pour un État de souscrire à un emprunt. Les prêts sont une forme de financement très courante. Ils sont généralement conclus de manière bilatérale ou par l’intermédiaire d’une syndication, et le remboursement est souvent étalé sur plusieurs années. En revanche, les obligations sont émises à l’intention de centaines ou de milliers de créanciers et le montant total doit normalement être remboursé en une seule fois. Il existe aussi de nombreux autres instruments inhabituels par l’intermédiaire desquels un État peut emprunter, mais cela concerne généralement des montants bien moins élevés.
Les États cherchent à réduire au minimum le coût de leurs emprunts (le taux d’intérêt) tout en évitant que la structure de leur dette ne devienne trop risquée. Par exemple, de nombreux États estiment qu’il est moins coûteux d’emprunter en dollars ou en euros que dans leur propre monnaie. Mais cela peut être source de problèmes, car si leur monnaie se déprécie, le poids réel de la dette augmente. De façon similaire, certains États préfèrent assortir leur dette d’un taux d’intérêt fixe, car cela garantit la stabilité des coûts du service de la dette. Cependant, il peut s’avérer moins coûteux (du moins au début) de lier sa dette à un taux d’intérêt variable ou à l’inflation des prix à la consommation. Pourtant, ces options aussi comportent des risques, car ces variables peuvent évoluer de manière inattendue et défavorable.
Structurer la dette publique de façon prudente peut contribuer à limiter les coûts d’emprunt souverain à long terme. Néanmoins, de nombreux autres facteurs influent également sur la solvabilité et les coûts d’emprunt d’un État souverain, tels que son niveau de développement économique, la taille de ses marchés financiers, son bilan en matière de respect de ses obligations financières et ses vulnérabilités face aux chocs extérieurs, ainsi que les conditions financières mondiales. Bon nombre de ces facteurs échappent au contrôle des États. Les agences de notation des dettes souveraines et les institutions internationales, dont le FMI, actualisent des modèles élaborés qui évaluent de manière continue la capacité de rembourser des États.
Que se passe-t-il lorsqu’un État ne peut pas rembourser ?
Comme les particuliers et les entreprises, les États souverains peuvent avoir du mal à rembourser leur dette. Plusieurs explications existent : peut-être ont-ils emprunté une somme trop importante, peut-être leur positionnement était-il trop risqué, ou peut-être ont-ils été frappés par un choc imprévisible, comme une profonde récession ou une catastrophe naturelle ?
Dans ces cas, l’État doit restructurer sa dette. Mais contrairement à ce qui se passe pour les particuliers et les entreprises, aucun tribunal ne peut intervenir pour obliger un État et ses créanciers à résoudre le problème. Au lieu de cela, les parties négocient : d’un côté, les créanciers veulent réduire leurs pertes au maximum ; de l’autre, l’État souhaite retrouver un statut « normal » sur les marchés financiers, en déboursant le moins possible.
Ces restructurations sont souvent coûteuses, tant pour les emprunteurs que pour les créanciers. C’est pour cette raison qu’elles sont relativement rares. En voici quelques exemples particulièrement notoires : Russie (1998), Argentine (2005), Grèce (2012) et Ukraine (2015). Les coûts sont normalement beaucoup moins élevés lorsqu’un accord peut être trouvé avant qu’un État ne se trouve en situation de défaut de paiement (c’est-à-dire quand il n’est plus en mesure de rembourser la totalité de sa dette). Ces restructurations préventives sont généralement conclues rapidement et ont des retombées moins graves sur le reste de l’économie et sur le système financier. Mais une fois qu’un État fait défaut sur sa dette, le processus de restructuration qui s’ensuit peut être long et coûteux.
L’emprunt souverain a beaucoup évolué depuis les expéditions militaires d’Édouard III en France. Il est devenu plus important, plus sophistiqué et plus international, et il joue un rôle central dans l’économie mondiale en permettant aux États de maintenir leurs économies à flot malgré les périodes de récession et autres chocs inattendus, notamment par le financement d’investissements qui stimulent la productivité et la croissance. Mais les risques de surendettement et de défaut sont encore très présents aujourd’hui.
Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.