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Certains pays se retournent contre les acquéreurs étrangers alors que la flambée des prix de l’immobilier devient un enjeu politique

Construite en 1890, la maison mitoyenne de style victorien située au 9 Kensington Road, avec ses quatre chambres, remplit de nombreux critères pour les acheteurs étrangers auxquels Ross Savas, directeur général de l’agence immobilière Kay & Burton, a régulièrement affaire. Son adresse — une rue bordée d’arbres parmi les plus prisées de Melbourne —, sa façade imposante, sa véranda, son majestueux jardin et sa proximité avec des écoles de premier ordre sont autant de facteurs qui contribuent au prix de 8 millions de dollars australiens (5,4 millions de dollars des États-Unis) qui en est demandé.

La clientèle internationale est un pilier de l’activité de Kay & Burton, une agence immobilière qui vend des biens haut de gamme à Melbourne depuis 1938. Les propriétés les plus recherchées, selon M. Savas, sont les maisons ou les appartements en front de mer, les domaines privés, les nouvelles constructions et les logements clés en main.

« Les villes de la côte est de l’Australie, en particulier, sont considérées comme un refuge, car elles allient niveau de vie élevé et accès à des restaurants, magasins, installations médicales et établissements scolaires de classe mondiale, explique-t-il. À bien des égards, l’Australie est vue comme une « terre promise » par ces acheteurs internationaux. »

Les arguments de vente du 9 Kensington Road ont aussi tout pour séduire les Australiens, mais le prix n’est pas à la portée de l’acheteur moyen. Conscient que les acquéreurs étrangers au fort pouvoir d’achat sont perçus comme évinçant les acheteurs locaux du marché, le gouvernement australien a, cette année, triplé les droits acquittés par les investisseurs étrangers à l’achat d’un logement existant, et doublé les taxes pour ceux qui laissent leur bien vacant.

Cela ne vaut pas que pour l’Australie. Face à la préoccupation que suscite l’éviction des acquéreurs locaux, l’attitude à l’égard des propriétaires étrangers de biens résidentiels est en train de changer dans beaucoup de pays. La Nouvelle-Zélande a voté en 2018 une loi interdisant aux étrangers, à quelques exceptions près, d’acheter des propriétés résidentielles, tandis que le Canada a reconduit pour deux ans, jusqu’en  2027, l’interdiction d’achat de logements canadiens par des étrangers.

Alors que des élections se tenaient dans 70 pays en 2024, pour les personnes fortunées en recherche de propriété à l’étranger, l’échiquier mondial a été bouleversé par des mesures telles que des restrictions sur les achats par les étrangers et sur les locations de vacances, des règlements d’urbanisme et des taxes foncières, relate le cabinet mondial de conseil en immobilier Knight Frank dans son Wealth Report 2024.

« Au moment où la dette publique augmente et l’accessibilité au logement diminue dans les pays avancés, les décideurs vont examiner de plus près les patrimoines mobilier et immobilier, ce qui ajoute une dimension aux considérations stratégiques des ultra-riches », écrit Kate Everett-Allen, responsable de la recherche internationale et nationale, dans le rapport.

Promesse dorée

Divers pays à travers le monde exploitent depuis longtemps le désir de particuliers fortunés de devenir propriétaires hors de leur pays d’origine — que ce soit pour offrir un meilleur cadre de vie et une meilleure éducation à leur famille, pour mettre leur patrimoine à l’abri de régimes nationaux à la fiscalité élevée, voire pour dissimuler des biens mal acquis.

Autrefois l’apanage de petits États insulaires tels que Saint-Kitts-et-Nevis, les programmes de visas et de passeports dorés — octroi de la résidence ou de la citoyenneté en échange d’un certain niveau de contribution ou d’investissement, le plus souvent dans l’immobilier — sont devenus des offres classiques de pays de plus en plus nombreux, friands des entrées de dollars qui accompagnent ces investissements étrangers.

La Grèce, par exemple, a lancé son programme de visas dorés en 2013, au moment où le pays tentait de sortir d’une crise de la dette qui menaçait son appartenance à la zone euro. Le Portugal possède un dispositif similaire avec le régime fiscal préférentiel des « résidents non habituels ».

Dans l’Union européenne, les programmes de pays membres comme la Grèce et le Portugal ont aussi été officiellement contestés, les autorités de l’UE craignant que l’octroi de ces droits de résidence et de citoyenneté ne profite à des criminels et ne facilite le blanchiment de capitaux — une inquiétude relayée par d’autres États dans le monde ayant eux-mêmes activement courtisé les riches étrangers candidats à l’investissement dans l’immobilier.

L’Espagne a annoncé en avril de cette année qu’elle mettrait fin à son programme ; la Commission européenne, qui considère que les programmes de citoyenneté par investissement sont illégaux au regard de la législation de l’UE, a saisi la Cour de justice d’un recours contre Malte en raison du programme de ce pays en la matière.

Pourtant, au moment où des pays suppriment des mesures d’incitation qui attiraient les acheteurs étrangers (Singapour a doublé à 60 % le droit de timbre acquitté par les étrangers afin d’atténuer la pression immobilière), d’autres essayent encore de développer cette activité. Dubaï offre la résidence dans les Émirats arabes unis, en exonération fiscale, aux étrangers qui investissent dans l’immobilier, créent une entreprise ou possèdent des compétences spécialisées, comme les médecins ou les ingénieurs en informatique.

La banque de papa et maman

Un peu plus haut sur Kensington Road, dans un immeuble situé au numéro 10, d’autres candidats à l’achat moins fortunés se sont récemment disputé le haut du pavé. L’objet de leur rivalité ? Un trois-pièces dont la vente serait adjugée au plus-offrant.

« Votre nouveau chez-vous ! », clamait le commissaire-priseur à l’intention du dernier enchérisseur, en se frappant la paume de la main avec un rouleau de brochures présentant la liste des cafés, moyens de transport et autres atouts du quartier huppé de South Yarra, dans le centre de Melbourne. L’assistance a applaudi poliment à la conclusion de l’enchère, remportée par un homme d’une cinquantaine d’années qui achetait pour sa fille, au prix définitif de 855 000 dollars australiens, soit environ 70 000 dollars au-dessus de la mise à prix.

Les maux du marché de l’immobilier résidentiel ne sont, bien sûr, pas tous imputables aux riches étrangers en quête d’une résidence. Toute une génération d’Australiens, ayant surfé sur la vague de la hausse des prix de l’immobilier née dans les années 80, se sont retrouvés propulsés au rang des plus riches de ce monde par la valeur nette de leur patrimoine.

Le rapport du courtier immobilier Jones Lang LaSalle sur les appartements pour le deuxième trimestre de 2024 constate, dans les faubourgs huppés situés à proximité du centre d’affaires de Sydney, une forte demande pour les biens neufs de très haut standing, portée par des acquéreurs qui, ayant vendu un bien plus grand et disposant donc d’un capital substantiel, sont prêts à débourser davantage.

Il y a ceux qui aident leurs enfants. De jeunes Australiens primo-accédants qui n’ont pas de quoi réunir la mise de fonds initiale pour l’achat d’un logement se tournent vers la « banque de papa et maman ». Ils utilisent la capacité d’emprunt de leurs parents pour acheter (comme au 10 Kensington Road) ou leur demandent d’avancer l’apport personnel nécessaire à l’obtention d’un prêt immobilier — un montant qu’il faut parfois plus de dix ans pour accumuler, selon une étude de la banque ANZ.

Les données d’ANZ montrent que, dans toute l’Australie, le marché du logement se ferme toujours plus aux primo-accédants. La proportion du revenu nécessaire pour rembourser un nouveau prêt hypothécaire sur 25 ans atteint le niveau record de 50,3 %, tandis qu’il faut en moyenne 10,6 ans pour épargner le montant de l’apport personnel.

Pour les Australiens, l’accession à la propriété est au cœur des conditions permettant la constitution d’un patrimoine. Les hypothèses relatives aux besoins financiers à la retraite reposent sur la notion que l’on sera propriétaire de son logement.

Cependant, le débat public est de plus en plus tendu : l’augmentation du coût du logement est telle que les Australiens jeunes ou autrement vulnérables ont du mal non seulement à acheter un logement, mais aussi à en louer un.

« Dans la crise du logement en Australie, les principaux coupables ne sont pas les propriétaires étrangers, proteste Alan Kohler, auteur de The Great Divide: Australia’s Housing Mess and How to Fix It. Il n’y a pas beaucoup de logements vides qui appartiennent à des étrangers. Le problème viendrait plutôt de la faible construction de logements par rapport à l’immigration [élevée]. »

Au 31 mars 2024, l’Australie comptait 27,1 millions d’habitants, selon les derniers chiffres du Centre for Population. Bien que la croissance démographique annuelle ait ralenti depuis le pic de 2,6 % atteint sur la période de juillet à septembre 2023, la migration nette — la différence entre le nombre de nouveaux immigrants et le nombre de départs définitifs de résidents — était de 510 000 pour les douze mois menant au 31 mars 2024, et de 134 000 pour la seule période de janvier à mars, d’où une forte croissance de la demande de logements.

Plus de 80 % des nouveaux arrivants en Australie sont locataires, selon les estimations d’ANZ. Le plafonnement du nombre d’étudiants étrangers annoncé par le gouvernement en août a été perçu, en partie, comme une tentative d’alléger la pression sur le marché du logement locatif.

Dans sa dernière déclaration de fin de mission relative à l’Australie, le FMI conclut que le pays a besoin d’une approche globale pour remédier à l’importante pénurie de logements, notamment par l’augmentation du nombre d’ouvriers du bâtiment, l’assouplissement des règles d’urbanisme et d’aménagement, et la réévaluation de la fiscalité foncière (y compris les avantages fiscaux accordés aux investisseurs).

Jamie Mi, responsable des ventes internationales chez Kay & Burton, s’attend à ce que les effets de change et la valeur à long terme de l’immobilier australien maintiennent la demande sur le marché du luxe à un niveau élevé, malgré l’évolution des mentalités.

« Je ne constate pas de baisse notable de la confiance chez les acquéreurs étrangers, déclare-t-elle. Les acheteurs haut de gamme ne s’inquiètent pas tant de la hausse des droits ou des taxes ; ce qui leur importe toujours, c’est de pouvoir acquérir un bien de grande valeur. »

Selon Knight Frank, l’Australie reste le premier choix des riches acheteurs chinois à la recherche d’une propriété à l’étranger.

Enfin, la crise du logement n’est pas propre à l’Australie. « Il s’agit d’une crise mondiale de l’accessibilité au logement, conclut M. Kohler. Mais, comme l’écrivait Tolstoï au sujet des familles, chaque pays malheureux l’est à sa façon, et pour ses propres raisons. »

MARIA PETRAKIS est journaliste indépendante à Melbourne.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.