Lorsqu’ils se réuniront à Rome ce week-end, les dirigeants du G20 pourront s’inspirer de la conception audacieuse du lieu, La Nuvola.
À l’instar de l’architecte qui a créé un nouvel espace impressionnant, les dirigeants mondiaux doivent agir avec audace aujourd’hui pour mettre fin à la pandémie et créer l’espace nécessaire pour construire une économie plus durable et plus inclusive.
La bonne nouvelle, c’est que les fondements de la reprise restent solides, grâce à l’effet combiné des vaccins et des mesures extraordinaires prises de manière synchronisée par les pouvoirs publics sous l’impulsion du G20. Néanmoins, notre marche en avant est freinée en particulier par les nouveaux variants du virus et leurs répercussions économiques, ainsi que par les perturbations de la chaîne d’approvisionnement.
Le FMI vient de réviser à la baisse sa prévision de croissance mondiale pour cette année, à 5,9 % . Les perspectives sont très incertaines, et risquent de se dégrader. L’inflation et la dette augmentent dans de nombreux pays. Les divergences économiques deviennent plus persistantes : trop de pays en développement manquent cruellement de vaccins et de ressources pour soutenir leur reprise.
Alors, que faire ?
Notre nouveau rapport au G20 appelle à prendre des mesures énergiques dans chaque pays. Par exemple, les autorités monétaires doivent faire abstraction des hausses provisoires de l’inflation, mais être prêtes à agir rapidement si les risques d’une augmentation des anticipations d’inflation deviennent tangibles. À cet égard, il est plus important que jamais qu’elles communiquent clairement leurs intentions pour éviter des répercussions négatives à l’échelle internationale.
Un dosage prudent des politiques monétaires et budgétaires, conjugué à des cadres d’action solides à moyen terme, peut créer plus d’espace pour des dépenses de santé et des aides aux groupes vulnérables. Ces réglages peuvent produire des gains rapides jusqu’à la fin de 2022.
Ensuite, des réformes structurelles propices à la croissance pourront apporter l’essentiel des gains supplémentaires, par exemple des politiques du marché du travail qui facilitent la recherche d’un emploi et la reconversion professionnelle, ou des réformes des réglementations des marchés de produits qui créent des débouchés pour les nouvelles entreprises en réduisant les obstacles à l’entrée sur le marché. Un tel ensemble de mesures à court et à moyen terme pourrait accroître le PIB réel global des pays du G20 d’environ 4 900 milliards de dollars d’ici à la fin de 2026.
Bien entendu, étant donné la gravité des problèmes, il ne suffit pas d’agir au niveau des pays. Nous avons besoin aussi d’une action conjointe immédiate sous l’impulsion du G20 — et pas seulement d’engagements — en ce qui concerne trois priorités :
Premièrement, il faut mettre fin à la pandémie en comblant les déficits de financement et en partageant les doses de vaccins.
La pandémie demeure le risque le plus important pour la santé économique, et ses répercussions sont aggravées par un accès inégal aux vaccins et de fortes disparités sur le plan des capacités de soutien budgétaire. C’est pourquoi nous devons atteindre les objectifs énoncés par le FMI, avec la Banque mondiale, l’Organisation mondiale de la santé et l’Organisation mondiale du commerce, à savoir vacciner au moins 40 % de la population dans chaque pays d’ici à la fin de 2021 et 70 % d’ici le milieu de 2022.
Mais nous accusons du retard : quelque 75 pays, principalement africains, ne sont pas en voie d’atteindre l’objectif fixé pour 2021.
Pour remettre ces pays sur la bonne voie, le G20 devrait offrir environ 20 milliards de dollars de plus en financement sous la forme de dons pour du dépistage, des traitements, des fournitures médicales et des vaccins. Ces financements supplémentaires combleraient un déficit de financement vital.
Nous devons aussi agir immédiatement pour accroître l’offre de vaccins dans les pays en développement. Si les pays du G20 ont promis plus de 1,3 milliard de doses au COVAX, moins de 170 millions de ces doses ont été fournies. Il est donc essentiel que les pays tiennent leurs promesses immédiatement.
Il est tout aussi important d’échanger les calendriers de livraison de doses déjà achetées, ce qui permettrait aux acheteurs ayant des besoins plus urgents d’être servis en premier lieu. Les pays où la couverture vaccinale est élevée devraient échanger leur calendrier de livraison avec COVAX et l’AVAT pour accélérer les livraisons aux pays vulnérables.
Nous devons prendre ces mesures, entre autres, pour sauver des vies et affermir la reprise. Si les répercussions de la COVID-19 devaient se prolonger, elles pourraient réduire le PIB mondial de 5 300 milliards de dollars cumulés au cours des cinq prochaines années par rapport aux projections actuelles. Nous devons faire mieux !
Deuxièmement, il faut aider les pays en développement sur le plan financier.
Alors même que la reprise de l’économie mondiale se poursuit, un trop grand nombre de pays se trouvent encore en grande difficulté. Pensez à la manière dont la pandémie a fait bondir la pauvreté et la faim, portant à plus de 800 millions le nombre de personnes souffrant de malnutrition en 2020.
Dans cette situation précaire, il ne faut pas demander aux pays vulnérables de devoir choisir entre le paiement de leurs créanciers, d’une part, et la fourniture de soins de santé et d’aides d’urgence face à la pandémie, d’autre part.
En fait, certains des pays les plus pauvres du monde ont profité de la suspension temporaire des paiements de la dette souveraine aux créanciers officiels, conformément à l’initiative du G20. Nous devons maintenant accélérer la mise en œuvre du cadre commun du G20 pour la résolution des dettes. Il est essentiel de préciser comment utiliser ce cadre et d’encourager les débiteurs à chercher à en bénéficier dès qu’il existe des indices évidents d’une aggravation de leur surendettement. Une prise de contact rapide avec tous les créanciers, y compris du secteur privé, et une accélération des délais de résolution de la dette auront des effets concrets sur le rôle et l’attrait du cadre commun.
Il est important d’aider les pays à faire face à leur endettement, mais cela ne suffit pas. Étant donné leurs besoins de financement massifs, un grand nombre de pays en développement auront besoin de plus d’aide pour accroître leurs recettes, ainsi que de davantage de dons, de financements concessionnels et d’apports en liquidités. À cet égard, le FMI a redoublé d’efforts plus que jamais, notamment en accordant de nouveaux financements à 87 pays et en procédant à une allocation historique de droits de tirages spéciaux à hauteur de 650 milliards de dollars.
Certains pays ont déjà profité de l’intégration des nouveaux DTS dans leurs réserves officielles. D’autres utilisent une partie de leurs DTS pour des besoins prioritaires, par exemple pour importer des vaccins, accroître leur capacité de production des vaccins et aider les ménages les plus vulnérables.
Nous appelons maintenant les pays dont la position extérieure est solide à transférer volontairement une partie des DTS qui leur ont été alloués à notre fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, ce qui renforcerait notre capacité d’accorder des prêts à taux d’intérêt nul aux pays à faible revenu.
Troisièmement, il faut s’engager à mettre en œuvre un vaste plan d’action visant à réduire à zéro les émissions nettes de carbone d’ici le milieu du siècle.
Selon une nouvelle analyse des services du FMI, une augmentation de l’efficacité énergétique et l’adoption d’énergies renouvelables pourraient créer des emplois en termes nets, car les technologies renouvelables sont généralement à plus forte intensité de main-d’œuvre que les carburants fossiles. En fait, un vaste plan d’investissement combinant des politiques de chaîne d’approvisionnement verte pourrait accroître le PIB mondial d’environ 2 % au cours de la décennie à venir, et créer 30 millions de nouveaux emplois.
En d’autres termes, en cherchant à réduire à zéro les émissions nettes, nous pouvons rehausser la prospérité, mais seulement si nous agissons ensemble et si nous contribuons à mettre en place une transition qui profite à tous. Les groupes les plus vulnérables de nos sociétés et de nos pays auront besoin de plus d’aide pour effectuer la transformation structurelle vers une économie sobre en carbone.
Une chose est claire : une bonne tarification du carbone se trouve au cœur de tout programme d’action global. À cet égard, le leadership du G20 sera fondamental, en particulier lorsqu’il s’agira d’obtenir un soutien à un prix minimum pour le carbone à l’échelle internationale. Agir ensemble pourrait aussi être utile pour surmonter des contraintes politiques.
Selon une proposition du FMI, un prix minimum pour les gros émetteurs de carbone tiendrait compte du niveau de développement de chaque pays. Il permettrait aussi de mettre en place des réglementations équivalentes au lieu d’un mécanisme de prix explicite tel que les échanges des droits d’émission. Cela pourrait stimuler les réductions des émissions de gaz à effet de serre à un moment critique pour le monde.
À la COP26 à Glasgow, les dirigeants du G20 auront une occasion unique de prendre la bonne direction en la matière et d’aider les pays en développement. Ces pays affichent la croissance la plus rapide de la population et de la demande d’énergie. Mais ils disposent des moyens budgétaires les plus restreints pour accroître leur investissement dans l’adaptation au changement climatique et la réduction des émissions ; de plus, ils n’ont souvent pas la technologie nécessaire.
Il faut au minimum que les pays plus riches tiennent leur promesse de longue date de fournir 100 milliards de dollars par an au profit de l’investissement vert dans les pays en développement.
De notre côté, nous appelons à transférer des DTS pour établir le nouveau fonds pour la résilience et la durabilité auquel nos pays membres ont souscrit avec force lors de notre assemblée annuelle. Cela permettra de satisfaire les besoins des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire vulnérables, notamment dans leur transition vers une économie plus verte.
L’achèvement et la consolidation de l’accord historique sur un impôt mondial minimum des sociétés contribuera aussi à mobiliser des recettes en faveur d’investissements porteurs de transformation.
Ces priorités, entre autres, seront celles des dirigeants mondiaux lorsqu’ils se réuniront à La Nuvola.
Vision, coopération et travail acharné se sont combinés pour construire cette structure futuriste et polyvalente : c’est exactement ce dont nous avons besoin du G20 en ce moment crucial. Pour assurer la reprise et bâtir un avenir meilleur pour tous, nous devons agir ensemble avec force maintenant.
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Kristalina Georgieva (biographie via le lien)